“Y a ka fo kon” planter plus d’arbres en ville entend-on dès qu’une canicule pointe son nez et qu’il s’agit de lutter contre les îlots de chaleur. Bien sûr. Quand on entend cela, on projette immédiatement son imagination dans un endroit plus frais, plus vert, plus agréable. Jusqu’à ce qu’on se rende compte d’une chose : une ville qui ne contiendrait que des arbres, on appelle cela une forêt.
Or si c’est une ville, c’est que l’endroit en question remplit d’autres fonctions.
Il faut qu’une ville puisse être toujours plus dense en nombre d’habitants (rappelons que la densité urbaine est aussi un enjeu écologique), abriter des entreprises, des écoles, des services publics, disposer d’allées et d’avenues larges et pratiques, etc. Il lui faut des trottoirs, des rues, des magasins, etc.
Comment faire pour qu’on puisse y mettre aussi un maximum d’arbres ?
À la fin de cet article, vous aurez compris pourquoi la réponse tout bête “les mettre sur les toits” n’est pas si bête que cela.
Oui, planter beaucoup d’arbres sur les toits répond à l’équation complexe face à laquelle se trouvent les décideurs publics : comment rafraîchir la ville et l’adapter aux changements climatiques qui viennent sans s’engager dans de fausses bonnes solutions.
Etudions de près cette équation.
Il faut plus d’arbres en ville
Ce n’est pas juste un slogan : tout le monde s’accorde sur ce constat : il faut plus d’arbres en ville.
Les arbres jouent un rôle environnemental fondamental en ville. Ils absorbent le CO2, réduisant ainsi l’empreinte carbone des zones urbaines. Cette absorption contribue à la lutte contre le changement climatique, dont les effets se manifestent de plus en plus.
L’autre rôle majeur des arbres est de lutter contre les îlots de chaleur urbains. En offrant de l’ombre et en procédant à l’évapotranspiration, ce phénomène de climatisation naturelle quasiment magique, les arbres abaissent naturellement la température des villes, seul moyen de lutter réellement contre les canicules de plus en plus fréquentes.
La biodiversité en ville est également favorisée par la présence d’arbres. Ces derniers offrent un habitat à une variété d’espèces, qu’il s’agisse d’insectes, d’oiseaux ou de petits mammifères. Une ville riche en biodiversité est une ville résiliente, capable de s’adapter aux changements et d’offrir une meilleure qualité de vie à ses habitants. C’est dans les villes que de nombreuses espèces menacées (abeilles, pies, moineaux, etc.) trouvent désormais des refuges bien utiles.
En outre, la présence d’arbres en ville offre un paysage esthétiquement agréable. Les espaces verts sont des lieux de détente et de ressourcement. Ils contribuent au bien-être mental et physique des citadins. Les études ont montré que les malades des hôpitaux situés près des arbres se soignent plus vite.
Partons en promenade.
Les conditions de vie idéales pour un arbre en ville ? Celles de cette futaie, ici, à Dreux.
Dreux : près de la Chapelle royale qui surplombe la ville, une jolie futaie avec des arbres majestueux qui abritent un espace vert et un parking. Cet endroit illustre parfaitement l’environnement rêvé d’un arbre (voir la vidéo ci-dessus).
Pierre Georgel, président d’ECOVEGETAL, observe : « Ici, certains arbres, jouissant de pleine terre, ont atteint le bel âge de 80 ans et plus. Un arbre cinquantenaire, dans de telles conditions, émet entre 600 et 800 litres d’eau par jour. Ce phénomène est rendu possible grâce à un sol permettant un développement racinaire profond. Les chênes, par exemple, ont la capacité d’ancrer leurs racines très en profondeur, exploitant les cavités souterraines pour puiser l’eau. »
Cependant, en milieu urbain, la réalité est toute autre. Et la vie n’est pas facile pour les grands arbres. C’est la deuxième variable de notre équation.
La densité de la ville impose des contraintes inévitables. « En ville, obtenir un tel développement racinaire est un défi, ajoute Pierre Georgel. Les arbres y sont en compétition permanente avec les divers réseaux qui s’étendent sous nos pieds. Ces infrastructures empiètent sur l’espace vital des arbres. Ainsi, pour protéger les canalisations et autres tuyaux, des barrières anti racines sont installées, ou, dans certains cas, la plantation d’arbres est tout simplement interdite. Les concessionnaires, ayant déjà découvert des racines obstruant leurs conduits, militent pour éloigner les arbres. Il y a donc une véritable lutte entre la nécessité des réseaux souterrains et le désir de planter des arbres. La solution ? Opter pour de longues fosses de plantation, s’assurant que les réseaux soient à une distance sécuritaire d’au moins un mètre vingt des arbres ».
Planter des arbres, à grande distance les uns des autres : on ne dispose pas toujours de la place nécessaire. Comme le souligne Pierre Georgel, « Nous ne pouvons pas planter d’arbres partout en ville en raison des sols déjà occupés. C’est pourquoi il est essentiel de compléter par d’autres moyens, tels que la végétalisation des façades et des toitures. Ces solutions alternatives permettent de retenir l’eau à la source, de ralentir son écoulement, et de favoriser son infiltration s’il y a, en aussi, au pied des immeubles, des sols perméables. »
La solution végétalisation des façades et des toitures (avec donc des arbres sur les toits) + infiltration de l’eau répond-elle aux autres variables de l’équation ?
Parmi ces autres variables, il y a notamment ce gros dilemme : atteindre véritablement les deux objectifs ICU et CO2 qui apparaissent parfois en conflit.
Les conflits entre les objectifs de lutte contre les ICU et l’adaptation au changement climatique
La lutte contre les îlots de chaleur urbains (ICU) et l’adaptation au changement climatique sont deux enjeux majeurs qui sont en effet considérés comme deux facettes d’une même pièce. Pourtant, ils ne sont pas toujours parfaitement alignés. Dans certains cas, ces deux objectifs peuvent se contredire.
Sélection des espèces :
Privilégier des arbres à large canopée pour combattre les ICU, ceux-ci offrant une ombre généreuse pour rafraîchir nos rues. Parfait, non? Pas si vite. Ces arbres, bien qu’efficaces contre la chaleur, peuvent être vulnérables face aux sécheresses ou aux nuisibles qui prolifèrent avec le changement climatique. À l’opposé, si nous choisissons des espèces résilientes face à la sécheresse, elles pourraient ne pas fournir suffisamment d’ombre pour contrer les ICU.
Gestion de l’eau :
Les arbres sont des alliés précieux pour rafraîchir nos villes grâce à l’évapotranspiration. Cependant, pour profiter de ce phénomène, il faudrait arroser ces arbres durant les pics de chaleur. Avec l’augmentation des périodes de sécheresse, cette méthode pourrait s’avérer non seulement insoutenable, mais aussi contradictoire avec les impératifs de conservation de l’eau.
Aménagement des sols et des surfaces :
Pour repousser le rayonnement solaire, l’usage de surfaces claires peut sembler judicieux. Cependant, si mal conçues, ces surfaces pourraient entraver l’infiltration de l’eau, aggravant ainsi les risques d’inondation lors de fortes précipitations.
Priorisation des zones d’intervention :
Où devons-nous agir en premier ? Concentrer nos efforts sur les zones déjà affectées par les ICU peut sembler logique. Cependant, ne devrions-nous pas aussi prévoir les zones qui pourraient être gravement impactées par les changements climatiques futurs ?
Ressources et financement :
Le nerf de la guerre. Avec des ressources limitées, où investir ? Dans la plantation d’arbres pour refroidir nos rues ou dans les infrastructures (sols perméables) pour prévenir les inondations ?
On pourrait en trouver d’autres.
Planter des arbres sur les toits permet-il d’éviter ce conflit ?
Là encore, la réponse est oui. Sélection des bonnes espèces, gestion de l’eau, capacité à affronter les sécheresses, ne pas faire appel à la seule gestion publique des arbres, mais mobiliser aussi les initiatives privées : tout ceci est possible. Ce petit film va vous en convaincre.
Mettre des arbres sur les terrasses végétalisées
Reprenons les différents points évoqués dans cette vidéo.
Un substrat adapté plutôt que de la pleine terre
Oui, les arbres peuvent pousser dans un substrat adapté. Rappelons que l’on n’utilise pas, sur les toits végétalisés, de la terre classique, trop dense, trop lourde, mais des substrats adaptés à la palette végétale que l’on choisit. Ce substrat est plus léger, évite donc de surcharger les bâtiments et a pour vertu notamment, “d’éduquer” les plantes à pousser sobrement : avec des racines plus développées et moins gourmandes en eau.
Selon Laura Carillo, responsable technique chez ECOVEGETAL :
“Si l’on envisage de planter des arbres, il est judicieux de le faire sur une terrasse ou un toit, surtout s’il est accessible. Ainsi, les visiteurs peuvent directement en profiter. Le substrat idéal sera soit un mélange terre-pierre, soit un substrat spécifiquement développé pour la plantation d’arbres. Ce type de substrat offre un développement souvent bien supérieur à certains sols classiques.” ( A propos des substrats pour toiture végétale, lire aussi cet article)
Une toiture dimensionnée pour le développement de petits arbres
Elle poursuit en évoquant les réussites d’ECOVEGETAL dans ce domaine :
“Sur différents projets que nous avons menés, si la toiture est correctement dimensionnée pour supporter ce genre de charge, des exemplaires d’arbres peuvent atteindre des dimensions impressionnantes.”
La bonne conception pour la structure
Bien sûr, un arbre, cela pèse un peu. Mais on n’est pas obligé de planter sur les toits des arbres centenaires…
Pierre Georgel, président d’ECOVEGETAL, dévoile ici une astuce de conception très judicieuse lors de la végétalisation des toitures :
“La végétalisation ne doit pas ajouter de contraintes à la structure d’un bâtiment. Ces structures sont conçues pour supporter le poids total d’un édifice, y compris ce que l’on ajoute sur le toit. Si végétaliser un bâtiment signifie alourdir excessivement la structure, alors cela aura un impact environnemental négatif : du CO2 en plus. Au lieu de simplement renforcer les structures, il est plus judicieux d’aligner les zones de poids lourd, comme les arbres, avec les supports structuraux existants. Par exemple, sur notre terrasse chez ECOVEGETAL, nous avons planté quatre arbres, qui atteindront une hauteur d’environ 7 à 8 mètres, directement au-dessus des poteaux porteurs. Cela nous a permis de n’avoir que 20 cm de substrat sur la terrasse, soit environ 180 kg par mètre carré à saturation maximale en eau. Là où nous avons planté des arbres, nous avons augmenté la profondeur du substrat à 60 cm pour accueillir les mottes des arbres. En faisant cela, nous avons assuré que le poids supplémentaire, qui s’élève à environ 400 kg, est directement transféré aux poteaux porteurs, évitant ainsi de renforcer l’ensemble de la structure du bâtiment.”
Multiplier les surfaces de feuilles végétales
On le comprend : planter des arbres sur les toits est une solution qui coche quasiment toutes les cases.
Elle est en phase avec l’objectif numéro un de la plantation d’arbres en ville : multiplier les surfaces de feuilles au contact de l’air (CO2) et de l’eau (évapotranspiration).
Vous avez déjà tenu une feuille à la lumière du jour, observé sa complexité, sa capacité à capter l’énergie ? Maintenant, imaginez des milliards de ces feuilles dans votre ville, formant une armada naturelle contre la chaleur. Chaque feuille est en effet une mini usine qui stocke l’eau et évapotranspire, captant des calories et rafraîchissant ainsi la température.
Si tous les citadins se servent de ce pouvoir de multiplier les feuilles de végétation, le combat contre la canicule est à portée de mains.
Il ne s’agit pas seulement de planter des arbres ou de créer des parcs, mais bien de multiplier les surfaces sur lesquelles ces feuilles peuvent prospérer. Les toits, les murs, les trottoirs, chaque centimètre carré peut devenir une chance de plus pour notre ville de respirer.
A la fois à travers l’action des acteurs publics, mais aussi à travers celle des acteurs privés, encouragés par les PLU et les règles d’urbanisme.
Chaque balcon végétalisé, chaque façade recouverte de plantes grimpantes, chaque arbre sur une terrasse est un pas de plus vers une métropole rafraîchie et régénérée.
Alors, levons les yeux, voyons le potentiel autour de nous et demandons-nous : où pourrions-nous ajouter encore quelques feuilles ?